Si nous avons des machines qui font tout, nous n'avons même pas besoin de sortir du lit le matin
En janvier, j’annonçais la création du projet “Elle parle tech”, autour de l’impact des nouvelles technologies sur notre qualité de vie. J’étais aussi en pleine transition professionnelle du monde de la communication digitale vers celui du projet numérique. En préparant cette première édition de la newsletter, je me suis connectée au site Welcome to the Jungle (plus précisément je faisais des recherches sur l’excellent livre “Du labeur à l’ouvrage” dont l‘auteure Laetitia Vitaud est aussi rédactrice en chef du volet Recruiters de Welcome to the Jungle). Voilà comment je suis tombée sur l’annonce d’un start-up qui proposait un poste dans le domaine du test de code informatique : je comptais rester freelance, mais cette offre collait à mes compétences et à ce que je souhaitais en terme de culture d’entreprise. En février, j’intégrais une nouvelle équipe pour une aventure dans la fintech. C’est pourquoi, cette première édition a pris beaucoup de temps à voir le jour. Crise sanitaire, confinement et dé-confinement se sont suivis : le temps est venu de (re)lancer “Elle parle tech”.
Génial! Mais où cela nous mènera-t-il?
La définition de la vitesse nous indique qu’elle mesure le rapport d’une évolution au temps. Selon Larousse.fr, la vitesse est une “grandeur définie par le temps mis à accomplir une action”. L’évolution du numérique a révélé une autre dimension de la vitesse : celle ou l’accomplissement de l’action ne s’achève jamais. Le point final devient toujours un point intermédiaire, dans une itération continue. Comme Milan Kundera disait, "la vitesse est la forme d'extase dont la révolution technique a fait cadeau à l'homme".
Le numérique a bousculé notre rapport au temps. Si mes parents avaient passé en revue leur vingtaine, ils auraient pu la considérer comme un longue fleuve tranquille. Cela malgré les contraintes imposés par un quotidien sous le signe de la pénurie et de la censure typique aux régimes communistes. Le passage de l'adolescence à l'âge adulte : sans accroc, sans télé et sans blue-jeans. Les jeans, une denrée rare qui traversait en cachette la frontière, transmise “sous la main”. “Sous la main” comme les les bananes, la viande ou le café. Par la suite, ils avaient fait des études et reçu un travail à la sortie de la fac. L’Etat y veillait, mais sans prendre en compte leurs aspirations ou leur besoins. La fabrique du vivant, version Ceausescu.
Mes parents avaient peu des choix, ma génération en a trop. Mes parents ont vécu l’aliénation par l’inertie, moi l’aliénation par l’urgence. Le numérique est l’un des générateurs de cette urgence, des changements brusques, qui se succèdent sans cesse. De la précarisation aussi, surtout dans ce contexte de grande incertitude sanitaire et économique.
La crise que nous vivons représente un levier d’ajustement de notre relation avec la technologie. Le confinement nous a obligé à adopter en toute vitesse de nouvelles façons de travailler, échanger, partager, faire la fête, voire aimer. Ces comportements peuvent souvent aller à l'encontre de notre nature d'animal social, aux besoins qui ne sont pas forcément satisfaits par écrans interposés. Désormais, on passe la plupart de notre temps "chez soi" et "dans le cloud". Les répercussions de l'adoption de ces pratiques en toute urgence sont encore à définir et à observer.
A ce propos, les paroles d'un participant à l'étude “People, Power and Technology 2020" de Doteveryone sont édifiantes : "Au jour le jour, ces choses sont si utiles - la vitesse à laquelle nous pouvons commander des choses, nous pouvons parler aux gens, nous n'avons pas à quitter la maison. Génial! Mais (...) où cela nous mènera-t-il? Parce qu'en fin de compte, si nous avons des machines qui font tout, nous n'avons même pas besoin de sortir du lit le matin, nous n'avons plus de but."
Toujours selon cette étude, seulement 19% des participants pensent que les entreprises technologiques conçoivent leurs produits et services en ayant à l’esprit les intérêts des gens.
C'est pour cela que Doteveryone recommande la création d'un organisme indépendant, The Office for Responsible Technology, pour mener un effort concerté, coordonné et urgent afin de créer un paysage réglementaire adapté à l'ère numérique et de veiller à ce que les avantages de l'utilisation des nouvelles technologies soient également partagés dans un monde post-pandémique.
Mais peut-être qu'aucun organisme, malgré ses intentions louables, ne réussira-t-il à nous aider à reprendre le contrôle sur nos usages numériques ? Surtout en ce moment : la distanciation sociale semble donner un coup de grâce à toute remise en cause profonde de notre dépendance de ces plateformes où nous passons la plupart de notre temps en-ligne.
Trois 📚 , trois 💡
📖 Du labeur à l'ouvrage de Laetitia Vitaud, Calmann-Lévy, 2019
👉🏼 On consomme sans cesse les même services numériques qu'on accuse de tous les maux.
👉🏼 Notre capacité d'adaptation cognitive à l'augmentation des flux d'information est moins rapide que la transition vers la société numérique.
👉🏼 Informatique vs. numérique : certains d'entre nous se confrontent avec un système informatique obsolète générateur de frustrations sur leur lieu de travail. Néanmoins, on a également accès, pour notre usage personnel, à des outils et des applications modernes, personnalisées et fluides.
📖 “De l'autre côté de la Machine” d'Aurélie Jean, Eds. de l'Observatoire, 2019
👉🏼 L'évaluation des chercheurs devrait prendre en compte leur mission de vulgarisation des savoirs.
👉🏼 Une éducation numérique collective et universelle est le vecteur d'une compréhension profonde de l'impact des nouvelles technologies sur la vie de chacun, barrière contre les débats déraisonnés et truffés de contre-vérités.
👉🏼 Un algorithme numérique n'est pas une recette de cuisine (comme on a pu souvent l'entendre).
📖 “How to do nothing : resisting the attention economy” de Jenny Odell, Melville House, 2019
👉🏼 Les impératifs commerciaux des réseaux sociaux nous font rester dans un état (rentable) d'anxiété, d'envie et de distraction.
"C'est en outre le culte de l'individualité et de l'image de marque personnelle qui se développe à partir de ces plateformes et affecte la façon dont nous pensons à nous-mêmes hors ligne et aux endroits où nous vivons réellement."
👉🏼 La créativité et l'idéation nécessitent du temps et de l'espace d'incubation.
👉🏼 Les connexions constantes rendent difficiles le silence et l’ntériorité.
Pour le meilleur et pour le pire
A High-Tech Coronavirus Dystopia
Le «Screen New Deal» : on se précipite vers un laboratoire vivant pour un futur sans contact permanent - et très rentable.
Alors que notre vitesse de connectivité augmente, attendez-vous à voir des taux plus élevés de contagion émotionnelle numérique - un trait comportemental qui fait que les gens imitent les sentiments de ceux qui les entourent.
Faites le test de Turing pour découvrir si vous êtes en train de discuter avec un humain ou un robot.
Jacob savait qu'il voulait devenir sérieux avec quelqu'un, mais il avait du mal à peser les mérites des ses partenaires potentiels les uns contre les autres. Il a donc fait ce qu'il savait le mieux : un tableur pour trouver sa moitié.
Le prochain grand réseau social est le courrier électronique. Les newsletters s'attendent à voir des communautés grandir autour d'eux dans de nouvelles façons intéressantes, dirigées par des entreprises comme Substack.
Au Japon, les gens apprennent à aimer leurs robots. L'essence de Chaco, son âme, peut vivre de toute façon, a expliqué le couple. Son âme est dans le cloud. Nous pouvons vivre avec Chaco pour toujours, a déclaré Yumiko.
Click ou claque
"Je vois la technologie comme du capitalisme sous stéroïdes. Elle a hérité des problèmes sociaux de toute autre industrie, mais il semble être accélérée et amplifiée et peut-être intensifiée en partie en raison de certains de ces récits que j'ai mentionnés plus tôt : le récit du génie fondateur. Le récit de la perturbation. Cette idée que le fondateur de génie a une supériorité morale.
Oui, je pense que l'industrie évolue.
La critique a imposé plus de conversations. Je ne dirais pas que nous sommes entrés dans un âge d'or de l'introspection technologique, mais les gens parlent de choses dont je ne pense pas qu'ils auraient parlé il y a six ans. Je trouve cela plein d'espoir.
Anna Wiener, auteure de l’ouvrage Uncanny Valley (décrite comme la Joan Didion des start-ups).
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